Artists in the boudoir
Posté par Miriam dans Non classé le 28 janvier 2007  à  13 h 43 min


Bonjour à toutes et tous,

Suite à une discussion très passionnée dans l’équipe du Boudoir, nous avons décidé, à la rédaction, d’entamer une nouvelle rubrique consacrée, non plus à l’art, mais à nos petits violons d’Ingres personnels. Merci qui ? Merci Victor, évidemment. Que ne ferait-on pas pour cet artiste fantasmagorique et mégalomaniaque ? …

Débutons par un sujet que j’adore : l’étymologie. De nos jours, les erreurs de langage sont devenues la règle. Qui sait précisément ce que signifient « polémiste », « libre-penseur » ou, dans un registre plus proche du Cercle des Artistes dans le Boudoir, « libertin » ? Les deux premiers termes, j’en conviens, ne servent pas tous les jours. « Libertin », par contre, est fort à la mode actuellement; et la plupart de celles et de ceux qui l’utilisent le font dans une acception toute différente de celle que je me propose de vous expliquer aujourd’hui. Posons-nous la question : que signifie ce « libertin », exactement ? Un petit cours de français s’impose, auprès de Monsieur Raymond Trousson, Professeur à l’ULB, grand spécialiste du XVIIIè siècle et passionné de thématologie. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur Jean-Jacques Rousseau, mais également d’une série très impressionnante de monographies et de préfaces, dont celle de « Romans libertins du XVIIIè siècle », recueil paru chez Laffont (Collection Bouquins), dont je m’inspire directement pour rédiger la note qui suit. Un résumé du texte original est disponible en ligne sur le site Bon à Tirer.

Le mot « libertin » est d’origine latine et signifiait, en droit romain, « affranchi »; il désignait les esclaves qui avaient réussi à sortir de leur servitude. « Libertinus » était assez péjoratif il est vrai car, pour le citoyen romain de souche (ingenuus), l’ancien esclave gardait toujours sur lui les traces de ses basses origines, malgré sa progression dans l’échelle sociale.

Le passage au français s’effectue en deux temps : « libertiniens » (1477), et « libertins » (1523), pour désigner une synagogue composée d’affranchis juifs qui contestaient le diacre Etienne.
Puis, sous la plume de Calvin, apparaît pour la première fois le terme « libertin », dans un traité intituléContre la secte phantastique et furieuse des libertins qui se nomment spirituels. Par « libertin », Calvin entendait « dissident », au sens religieux du terme : son traité condamne en effet des anabaptistes issus de sectes protestantes et qui prennent de sérieuses libertés avec la Parole Divine et la Bible : prétendre que tout est Dieu, que la seule morale est celle de la nature (ce que Sade claironnera quelques siècles plus tard), interpréter les textes sacrés comme ils l’entendent, nier la notion de péché et, pire que tout, prôner la communauté des biens. On imagine l’accueil que leurs idées reçurent, à une époque où l’exploitation du peuple était la règle et où le pouvoir religieux avait main-mise sur l’ensemble la société. Calvin clame son indignation contre ceux qu’il appelle des enragés et les accuse, non seulement d’être de dangereux questionneurs (ils mettent leur estude à s’enquerir plus outre qu’il ne leur appartient de savoir), mais aussi d’avoir des mœurs dépravées (ils abusent de la doctrine de l’Evangile en occasion de se desbaucher).

Ce tout nouveau terme, une fois lancé par Calvin, connaît un succès immédiat. Repris par Guillaume Farel en 1550, « libertin » devient synonyme d’athée. Premier amalgame : il ne s’agit plus de désigner de mystérieux membres d’une secte d’anabaptistes, mais toute personne qui contesterait la parole divine. Tout au long du XVIè siècle, alors que la répression fait rage, le glissement et l’extension de sens se poursuivent – non seulement chez les Protestants, mais aussi chez les Catholiques, qui ne voient pas d’un meilleur oeil la libération de l’esprit de leurs fidèles. « Libertin » entre alors dans le langage courant et l’on oublie peu à peu ce qu’il désignait à l’origine.

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Posté par Miriam dans Non classé le 28 janvier 2007  à  13 h 41 min


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Un siècle plus tard, suite au concile de Trente, l’Eglise resserre encore la vis et c’est au tour de la jeunesse de cour de s’attirer les foudres du pouvoir religieux, et notamment des jésuites. S’inspirant des auteurs classiques et de la Renaissance, mais aussi des sciences naturelles alors en plein essor, un certain nombre de penseurs contestent l’image de Dieu telle que donnée par la Bible et réfutent les miracles, la chronologie des textes sacrés ou même l’immortalité de l’âme. Les « libertins », en réponse aux attaques dont ils sont l’objet, s’intitulent eux-mêmes les « déniaisés », reconnaissons qu’ils ne manquent pas – déjà – d’un certain cynisme… ni d’un certain courage. Les temps ne sont pas favorables à la contestation : Théophile de Viau, suite à la parution de son Parnasse des poètes satyriques, un recueil jugé licencieux, subit les foudres du Père Garasse et est rapidement emprisonné; tandis que Giordano Bruno, suite aux attaques du Père Mersenne, est jugé et brûlé vif à Rome en 1600. La rigueur de la répression est à la mesure des ferments séditieux que véhiculent les contestataires : s’affranchir des dogmes et des doctrines et revendiquer la jouissance immédiate.
Etre un « libertin », c’est être un impie, dépourvu de moralité, corrompu par la philosophie. Le « libertin », qui « sans âme et sans foi, / Se fait de son plaisir une suprême loi » (Boileau, quatrième Satire), servira dès lors de modèle dans de nombreuses oeuvres littéraires.

Un autre glissement de sens s’opère, au début du XVIIè siècle : de « libertin » à « libertinage », puis de « libertinage » à « dérèglement de vie » ou « des moeurs » (Dictionnaire Richelet). La Foi et la morale sont indissolublement liées : celui qui ne possède plus l’une, perd forcément l’autre.

Toutefois, l’avancée des sciences est inexorable et, à l’approche du siècle des Lumières, certaines voix s’élèvent pour tenter de séparer religion et morale. Pierre Bayle, dans ses Eclaircissements sur certaines choses répandues dans ce dictionnaire, avance qu’il est tout à fait possible d’être athée et vertueux, ou, au contraire, de vivre dans le crime tout en respectant les vérités de la religion. Selon lui, une société a moins besoin d’une religion vraie que de bonnes lois (un argument que Sade reprendra également).

Peu à peu, le « libertin » et le « libertinage » mènent une carrière distincte : d’une part les esprits forts, les philosophes, les libres-penseurs et, d’autre part, le libertinage des mœurs; les roués de la Régence, s’adonnant à la débauche plutôt qu’à la contestation intellectuelle. Ainsi, dans l’Encyclopédie, l’article Libertinage déclare : « C’est l’habitude de céder à l’instinct qui nous porte aux plaisirs des sens; il ne respecte pas les mœurs, mais il n’affecte pas de les braver; il est sans délicatesse, et n’est justifié de ses choix que par son inconstance; il tient le milieu entre la volupté et la débauche; quand il est l’effet de l’âge ou du tempérament, il n’exclut ni les talents ni un beau caractère »

Tout au long du XVIIIè siècle, nouveau glissement de sens; les notions de perversion et de dépravation commencent à être associées au « libertinage »; on retrouve le terme dans les rapports de police, où il est de plus en plus souvent utilisé pour désigner une certaine marginalité, mais aussi le refus d’obéir à l’autorité, notamment familiale, maritale ou paternelle. Ainsi Furetière définit le libertin par « c’est celui qui ne veut pas s’assujettir aux lois, aux règles de bien vivre, telles qu’elles sont prescrites à chacun selon l’état où il se trouve… »

Le roman libertin, par exemple chez Laclos, se pique d’une certaine élégance aristocratique; où l’art de la débauche se fonde sur une stratégie élaborée, élégante et raffinée; et où le style et le niveau de langue comptent davantage que la pornographie et les tableaux graveleux. Nous sommes désormais bien loin du caractère injurieux que revêtait le terme à l’origine. La distinction nouvelle accordée, en littérature, au terme « libertin », le confine à un genre particulier, où la cérébralité et la dimension philosophique prennent le pas sur le plaisir et l’assouvissement des désirs charnels.

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Posté par Miriam dans Non classé le 28 janvier 2007  à  13 h 38 min


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Laissons ici Monsieur Trousson et remercions-le poliment pour son cours ex-cathedra.

Venons-en à ce que recouvre actuellement le terme « libertin » et commençons par les définitions du dictionnaire : qui ne suit pas les lois de la religion, soit pour la croyance, soit pour la pratique ou qui s’adonne sans retenue aux plaisirs charnels, avec un certain raffinement (c’est moi qui souligne). Première constatation : il semblerait que Le Robert et Monsieur Trousson soient d’accord dans les grandes lignes.

Mais leur acception, aussi juste et précise soit-elle, rejoint-elle certain usage courant ? Pour fréquenter quelquefois, par corvée, le petit monde de l’érotisme, je crois pouvoir affirmer que non. Je constate tout d’abord un glissement dans la nature du mot : ce n’est plus tant le substantif que l’on emploie couramment, mais l’adjectif. Aussi n’entend-t-on pas « je suis un libertin » mais « je suis libertin » ou plutôt « nous sommes un couple libertin ». La presse prend d’ailleurs le relais de plus en plus fréquemment, y allant de son petit couplet tendance avec les soirées et revues libertines, ou autres clubs libertins. Ce que j’y vois, c’est une utilisation abusive, en tant que synonyme, de « libertin » pour « échangiste »; ce dernier terme étant particulièrement péjoratif, il a bien fallu lui substituer un mot moins vulgaire. Je trouve infiniment regrettable de galvauder ainsi la langue française, d’amalgamer Laclos et les partouzes glauques qui se déroulent dans les clubs et de méconnaître à ce point les plus élémentaires notions de vocabulaire. S’il est bien un élément qui soit toujours absent dans le milieu dit « libertin », c’est le raffinement. Je n’y ai trouvé, pour ma part, que banalités mille fois répétées, sous-vêtements achetés au rabais, gestes platement obscènes, ambiance musicale sirupeuse et pornographie exhibitionniste. Il est inutile, dans ces conditions, de tenter la moindre conversation sur la littérature comparée, l’étymologie ou l’histoire du cinéma. Tout se limite à des « je n’ai aucun tabou », « je suis pour l’amour libre » ou, comble de l’originalité, « j’aime donner et recevoir du plaisir ». C’est risible, surtout si l’on considère que, chez ces messieurs, l’absence de tabou et la liberté auto-proclamées se limitent à la satisfaction de pulsions sexuelles on ne peut plus banales – et excluant bien évidemment toute stratégie, autre que celle visant à atteindre l’orgasme physique. Il n’est bien sûr pas question que Madame se rende seule au club (ce qui vaut, théoriquement du moins, pour Monsieuraussi); ni qu’elle explore ses fantasmes de son côté, quand elle n’est pas cantonnée, de facto, à des relations homosexuelles pour assouvir le voyeurisme de son partenaire. Tout cela est d’une simplicité affligeante, repérable en deux coups de cuiller à pot, et c’est, à mon avis, jeter des perles aux cochons que de tenter de faire entrer quelque lumière dans l’obscure cervelle des soi-disant « libertins » de notre temps.

Il en va tout autrement de celles et de ceux, curieux de nature, non-conformistes par choix argumenté et dont les recherches spirituelles et philosophiques visent à l’autodétermination, qui nous feraient l’honneur de visiter le blog d’Artists in the Boudoir et de lire la présente note. C’est avec un réel plaisir que je l’ai rédigée, à leur intention et du mieux que j’ai pu, afin de partager le peu que je sache.

A bientôt,

miriam.


Posté par Miriam dans Non classé le 11 janvier 2007  à  16 h 11 min


Bonjour à toutes et tous,

Une nouvelle année commence, avec les meilleurs voeux de l’équipe du Blog dans le Boudoir.

Les bonnes résolutions sont de rigueur, en ce mois de janvier tout neuf. Voici donc quelques propositions d’excursions à l’échelle planétaire, pour les chanceux qui auraient déjà des jours de vacances en vue.

Tout d’abord, un petit tour chez nos voisins suisses, où la Fondation Beyeler accueille, jusqu’au 18 février prochain, l’exposition Eros dans l’Art Moderne. Composée de deux volets, le parcours propose des oeuvres de Rodin et Picasso en première partie, auxquelles s’ajoute, en deuxième partie, un panorama plus large axé sur les différentes manières d’appréhender l’érotisme dans l’art au cours du XXe siècle. Toutes les disciplines sont représentées, de la peinture (Auguste Bonnard, Tom Wesselmann) à la sculpture (Hans Bellmer, Louise Bourgeois) en passant par le cinéma (Pipilotti Rist) et la photographie (Nobuyoshi Araki). Pour les passionnés, une conférence sur l’exposition est prévue, en collaboration avec l’Alliance Française de Bâle, le mercredi 7 février 2007.

A Londres, le cadre magnifique de Somerset House sert d’écrin aux trésors du Musée de l’Hermitage de Saint-Peterbourg. L’exposition, intitulée The Triumph of Eros, Art and Seduction in 18th Century France, est l’occasion de découvrir la collection d’art érotique du Tsar Nicolas 1er – notamment un ensemble exceptionnel de gravures érotiques, qui n’ont jamais été exposées au public jusqu’à présent. Des pièces rarissimes, dont l’emblématique marbre d’Etienne-Maurice Falconet, La Menace de Cupidon, réalisé vers 1750 pour la Marquise de Pompadour. Les amateurs du Siècle des Lumières seront ravis : outre des gravures de Matthieu et d’AuvreyBoucherLancretGuérin et Subleyras sont également représentés. Un Must Absolu, à mon humble avis.

Et enfin, soyons fous, partons chez nos voisins des States (il leur arrive aussi d’avoir de bonnes initiatives), et plus particulièrement au Texas, à Fort Worth, où le Kimbell Art Museum organise une exposition de premier ordre : Drama and Desire, Japanese Paintings from the Floating World, 1690–1850. Les amoureux du Monde Flottant ne pourront résister à la richesse ni à la qualité des Hokusaï fabuleux qui, pour la plupart, seront présentés en première mondiale. Pour illustrer le développement de la peinture ukiyo-e du XVIIe au XIXe siècle, les commissaires ont sélectionné des pièces somptueuses, notamment des oeuvres de Hishikawa Moronobu, Suzuki Harunobu, Torii Kiyonaga ou de l’inimitable Kitagawa Utamaro. De quoi repartir pour l’Europe sur un petit nuage.

Pour notre part, nous allons tenter de nous échapper ce dimanche, puisque c’est le tout dernier jour de l’exposition Araki au Musée de la Photographie de Charleroi (du 23-09-2006 au 14-01-2007). Débordés que nous fûmes, nous n’avons pas encore trouvé le temps nécessaire pour aller soutenir le courage du conservateur, qui a pourtant essuyé l’opprobe publique dernièrement sous prétexte que l’expo était pornographique… Comme quoi, les Etats-Unis n’ont pas le monopole de l’ultra-conservatisme !

A très bientôt,

miriam





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Dernière modification effectuée le 21 Juin 2010