Victor Sanchez a toujours célébré l’érotisme féminin sous le voile discret de la sensualité des corps. Pour sa nouvelle exposition, l’artiste s’engage de manière intime et personnelle en présentant pour la première fois des oeuvres où le culte à Éros prend une dimension neuve et beaucoup plus radicale. Un dévoilement très troublant. |
« J’aime citer Picasso, à propos de l’érotisme et de la pornographie dans l’art », confie Victor Sanchez. « Picasso disait : «L’art n’est pas chaste ... quand il est chaste, il n’est plus de l’art». Mais il faut replacer cette citation dans son contexte. Par là, Picasso soulignait que l’art est dangereux si l’on y est insuffisamment préparé. J’irais plus loin en affirmant que non seulement le public doit être préparé, mais l’artiste également. Il n’existe selon moi rien de plus difficile, en art, que d’exprimer une vision pornographique avec délicatesse et sensibilité. Ma dissidence ? C’est d’utiliser la technique académique classique dans des oeuvres à caractère érotique. J’essaie ainsi d’amener le public à revoir ses visions du monde et à s’interroger sur ses comportements. De nos jours, le sexe est omniprésent : dans les média, dans la rue, dans la médecine, dans la littérature et même dans la politique, avec l’affaire Lewinski ... Pourtant, la censure n’a jamais été aussi normative. La norme sociale tente continuellement de figer ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, une bonne fois pour toutes. Or, pour un artiste, c’est inacceptable, précisément : on ne peut pas réduire la création à une série de normes et de standards.
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Un credo |
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Victor Sanchez est un ardent défenseur de la condition féminine. Tour à tour tendres ou indiscrets, ses pinceaux tracent sans relâche un véritable Hymne à la femme. Dans son tableau « Femme et Société » (collection particulière, Thaïlande), l’artiste détournait déjà les codes machistes de la corrida pour illustrer la quête d’indépendance de la femme du 20è siècle. « Je suis vraiment un féministe », déclare Victor Sanchez en riant, « j’aime passionnément les femmes ! En général, mes modèles (qui sont des amies, la plupart du temps), ne sont pas toujours à l’aise avec leur image. Elles ont parfois des complexes, elles me demandent de gommer leurs petits défauts. Mais personnellement, c’est justement ce qui m’intéresse, en tant qu’artiste. La qualité du tableau dépend d’abord de l’authenticité du modèle ! |
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Femme et Société | ©Victor Sanchez | ||
Je peins des femmes vivantes et c’est la raison pour laquelle je refuse de censurer leur corps. Si vous prenez « L’Origine du Monde », une oeuvre de Courbet, que j’ai eu le bonheur d’admirer au Musée d’Orsay, vous pouvez en donner différentes interprétations. Certaines personnes, en le voyant, sont très choquées; d’autres sont enthousiastes; d’autres encore très indécises. C’est ce qui constitue à mes yeux toute la richesse de l’art pornographique : il oscille continuellement entre l’obscénité et l’érotisme, entre la vérité des corps et leur sublimation. La pornographie en tant que telle n’est pas née d’hier. Ce qui est nouveau, par contre, c’est que les oeuvres pornographiques sont devenues des produits comme les autres. Ce qui explique pourquoi la qualité artistique de la production pornographique est si médiocre. On ne peut pas réduire l’art à un simple produit de consommation. L’art rejoint le sacré : en art, on est jamais fort loin du culte, de la contemplation, du cérémonial. |
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L’art érotique caché L’art érotique de Victor Sanchez est davantage une expression du vrai qu’une expression du réel. Il nous avait habitués à une palette sombre, à des fonds esquissés, parfois d’un simple arrière-plan brossé à grands traits, à une composition singulière, à des cadrages inattendus. Suivi par de fidèles collectionneurs, l’artiste a exploré différentes veines érotiques, d’inspiration parfois sulfureuse (Cordes et Peau, Pas gentille, Bijou Indiscret). Avec ses Petits Portraits Intimes, Victor Sanchez nous offre un authentique voyage dans le temps, en renouant avec la tradition disparue des oeuvres pornographiques commanditées par de riches mécènes anonymes. Quelques rares pièces, qui s’arrachent aujourd’hui à prix d’or dans les salles de vente, sont parvenues jusqu’à nous. Cannes à système, montres érotiques, olisbos en bois précieux, lithophanies en biscuit polychrome : rien ne fut assez beau ni assez scandaleux pour orner les Petites Maisons des Libertins du XVIIIè siècle. Cet art non officiel, bien souvent exécuté clandestinement par des artistes renommés, était réservé aux alcôves et aux lieux de plaisir. Les tableaux et les dessins pornographiques participaient d’un véritable rituel, où tant l’artiste que l’acquéreur se plaçaient délibérément au-delà des normes sociales et des conventions. L’artiste, en transgressant les codes et les limites propres à son art. L’acquéreur, en s’instituant comme « Maître de Cérémonie » lorsqu’il découvrait l’oeuvre à des convives choisis, selon un rite de dévoilement qui précédait la transgression et la soulignait. |
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Cerbère à la porte
©Victor Sanchez
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« J’ai parfois l’impression que l’art érotiique a été vidé de son sens » regrette Victor Sanchez « Cependant, il n’est pas nécessaire d’être vulgaire ou médiocre pour faire de l’érotisme. On peut tout à fait créer une oeuvre érotique hautement culturelle... Je parlais de Courbet, que j’admire infiniment. Mais il n’est pas le seul artiste à s’être exprimé dans des oeuvres érotiques. Picasso, Dali, Egon Schiele et Klimt, pour ne citer qu’eux, ont tous refusé de tempérer leur peinture, de la cantonner à de l’érotisme discret. Je crois qu’un artiste qui s’engage dans une démarche de création à caractère érotique prend d’énormes risques, encore aujourd’hui. La production érotique est tolérée, bien entendu, mais pas si elle dénonce la rigidité actuelle. On peut trouver de la pornographie très facilement de nos jours : c’est disponible parce que c’est rentable. Mais la qualité et l’émotion sont très loin d’être au rendez-vous. Tout le monde en souffre : ceux qui recherchent de la pornographie de belle facture (dont les femmes, qui sont de plus en plus nombreuses à l’apprécier), n’en trouvent pas. Et ceux qui sont scandalisés par la surenchère pornographique de bas étage ont toute l’eau nécessaire à leur moulin. Au final, les seuls gagnants sont ceux qui empochent les bénéfices... Cette exposition des Petits Portraits Intimes, c’est ma façon de dénoncer cela.
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Cours de langue
©Victor Sanchez
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La Galerie Libertine |
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Inaugurée au Sablon en février 2008 par Émilie Dujat-Masquelier, galériste passionnée d’art érotique, La Galerie Libertine est un espace unique. Entièrement consacrée à l’art et aux artistes érotiques, La Galerie Libertine organise régulièrement des vernissages et des événements qui font le bonheur des amateurs du genre. Le lieu, réparti sur deux niveaux, propose aux collectionneurs une galerie d’objets érotiques anciens, de l’Antiquité à l’époque contemporaine, ainsi qu’une salle d’exposition dédiée aux artistes invités (Yoji Moriguchi, Alex Varenne, Alexander Pavlenko, etc.) | ||
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« Entre Émilie (Masquelier) et moi, le courant est passé tout de suite » explique Victor Sanchez.
« Nous partageons la même passion pour l’art érotique et c’est tout naturellement que le projet d’une exposition thématique s’est imposé. À l’origine, je songeais plutôt à des dessins : j’ai illustré Le Maître des Plaisirs, un recueil de poésie érotique paru en 2005 et cela m’a énormément plu. Mais petit à petit, l’idée a évolué vers des petits formats sur bois, comme chez les Primitifs Flamands, dont j’admire infiniment la virtuosité. Évidemment, j’ai adapté la technique du glacis à la peinture acrylique : peindre à l’huile implique des temps de séchage beaucoup plus longs. J’ai la chance de côtoyer des collectionneurs d’art érotique (dont certains sont des collectionneuses, je tiens à le souligner). Grâce à eux, j’ai pu découvrir des objets tout à fait exceptionnels. Ce fut le point de départ de la série des Petits Portraits, une sorte d’hommage aux oeuvres des siècles précédents. J’ai eu envie d’explorer de nouveaux territoires, de développer une vision plus moderne, tout en restant proche de l’esprit libertin. Très vite, il m’est apparu que c’est surtout l’aspect ludique qui compte : sans jeu, la pornographie ne présente aucun intérêt selon moi. D’où l’idée de construire des toiles où un sujet « plus sage » viendrait dissimuler une composition pornographique. On en revient à « L’Origine du Monde », qui a toujours été « voilée» ou « cachée » chez ses propriétaires successifs, avant que le Musée d’Orsay ne l’expose au grand public. J’aimerais réconcilier les amateurs d’art avec l’art érotique. Bien sûr, les sujets que j’ai peints peuvent choquer; mais un tableau en lui-même n’est ni dégoûtant ni vulgaire. C’est une sorte d’encouragement à sortir de la passivité, de l’inertie, pour entrer dans le jeu de l’art et jouer à cache-cache avec lui. »
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Illustration du Maître des Plaisirs
©Victor Sanchez
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Murielle Delnoy
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