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L'art de Victor Sanchez célèbre la Femme et transcende les genres : au-delà de l'aspect hyper-réaliste, où le cadrage n'est jamais innocent, ses toiles racontent toutes une histoire et rendent un vibrant hommage à l'émouvante beauté du corps. Qu'il s'agisse de drapés, d'esquisses ou de portraits brossés; qu'il découvre des échancrures de corsage, des nuques sous un flot de chevelure ou des dos délacés; il y a toujours une subtile alchimie dans l'oeuvre de Victor Sanchez, une espèce de clair-obscur où l'amateur est entièrement libre d'interpréter le sujet selon ses propres codes. Dès ses débuts, Victor Sanchez fait la part belle à une veine d'inspiration japonaise, dans laquelle il exprime une immense fascination pour l'univers mystérieux des hanamachi de Kyoto. La longue tradition des maisons de thé lui offre l'occasion d'illustrer, d'une manière très personnelle, le culte de la Tradition et de la Modernité. C'est avec beaucoup d'enthousiasme que l'artiste s'explique à propos de l'un de ses sujets de prédilection. |
Pourquoi peindre des geishas ?
J'ai toujours été attiré par la culture japonaise. C'est une société d'une étonnante complexité, où ce qui se voit compte beaucoup moins que ce que l'on dissimule. Un peu comme dans ma peinture, en fait. Il y a également une grande part de sophistication et un extrême sens du détail dans la société japonaise : c'est un monde ou le rituel et la cérémonie ont une place très importante. Même pour un occidental, la magie des traditions est immédiatement perceptible. Je ne peins pas que des geishas, au sens strict du terme. Il existe une confusion en Europe entre des termes proches en langue japonaise. Mes portraits représentent généralement des Geiko ou des Maiko. La charge érotique du sujet a-t-elle une importance ? Poser la question en ces termes-là est très réducteur, à mon avis. J'aime à citer Pablo Picasso, qui déclarait volontiers que : « L'art n'est jamais chaste, ou alors ce n'est pas de l'art. » Mais il faut savoir que Maiko signifie « femme qui danse » et Geiko « femme qui excelle dans les arts ». Je n'ai pas pour but d'exploiter les clichés que le monde occidental a développé sur le mythe de la Geisha au sens de « courtisane ». Il ne faut jamais oublier que les femmes qui embrassent la vie de Maiko, parfois dès l'âge de quinze ans, s'astreignent à une discipline quotidienne et pénible afin d'atteindre l'excellence artistique. Encore de nos jours, la formation implique de très gros sacrifices : ce sont des études longues qui comportent des matières ardues comme la danse, le chant, le théâtre ou différents instruments de musique ancienne. Les banquets et les spectacles au cours desquels officient les Geiko et les Maiko sont des événements très recherchés. L'éloquence et l'érudition y figurent en bonne place : lorsqu'elles conversent avec les convives, les Geiko et les Maiko sont sur un pied d'égalité avec eux, ce qui est assez unique dans la tradition japonaise, où la position des femmes est encore souvent inférieure. Quelle est la part de réalisme dans vos sujets ? A vrai dire, les traits de mes modèles sont souvent de libres interprétations. Mais j'attache une énorme importance à l'exactitude du détail. Chaque élément de la coiffure, du maquillage ou du costume d'une toile comme Geiko, par exemple, est rigoureusement documenté. La codification de chaque détail a une énorme importance, dans la tradition des okiya. Le symbolisme des couleurs est également d'une grande complexité. Une geiko, par exemple, porte un kimono à col blanc. Le obi-jime (ruban de ceinture) d'une Maiko sera très coloré, orné d'un pocchiri (boucle de ceinture) très raffiné. Les kanzashi, ou épingles à cheveux, sont également fort différentes et varient en fonction de la saison. C'est un travail de recherche énorme, mais c'est particulièrement intéressant de peindre et d'interpréter des sujets aussi exigeants. Peindre la tradition des hanamachi, c'est une façon de sauvegarder un monde en péril ? Je ne crois pas, non. C'est vrai que le Japon s'est occidentalisé après la deuxième guerre mondiale, mais de gros efforts sont faits pour préserver le patrimoine. L'étiquette et les conventions auront toujours de l'influence sur la société contemporaine, qu'elle soit japonaise ou occidentale, d'ailleurs. Je pense qu'il y aura toujours une part de fascination pour une tradition vivante comme celle des hanamachi, incarnée par des femmes qui consacrent leur vie à la connaissance des arts. Lorsque je peins une Geiko, c'est un hommage que je rends à des artistes accomplies, à des femmes exceptionnelles; pour qui j'ai une grande admiration. Perpétuer la tradition dans la modernité est une gageure de nos jours, mais je suis convaincu que cela reste indispensable. |
Murielle Delnoy
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